Kol & Lys.

L'endroit que j'avais le plus fréquenté pendant mon adolescence - à part le lycée, bien sûr ! - était sans doute le Mystic Grill. Fraîchement arrivée de France, je devais bien sûr renouer contact avec ce lieu qui avait bercé ma jeunesse. Je priai donc Ella de me réserver sa soirée, afin qu'elle puisse m'accompagner. Ma demi-soeur accepta avec plaisir. Mais le soir venu, elle se désista, prétendant que des amis à elle débarquaient à l'improviste à la maison. Je réussis à dissimuler ma déception avec quelque mal, avant de lui faire signe que ce n'était pas si grave. Je devais me faire à l'évidence que ma soeur avait une vie sociale, contrairement à moi qui reprenait le statut de petite nouvelle. J'avais l'impression de remonter onze années en arrière.

Je n'étais pas du genre à craindre la solitude. Je décidai donc d'aller seul au bar, m'amuser quelques moments avant de faire un tour dans la ville. J'avais un peu peur de rencontrer des visages connus. Je n'étais pas prête à expliquer mes agissements à des personnes que j'ai rayé de mon existence. Ma vie antérieure ne me plaisait pas ; j'étais comme confiné entre quatre murs et quand j'étais sur le point de retrouver ma liberté, j'ai déchiré les pages de mon passé pour tracer les nouvelles lignes de la nouvelle. Si ma famille, mes amis les plus proches comprenaient mon geste, je n'étais pas si sûre que ça soit le cas des autres. Je préférai alors ne pas donner signe de vie ; continuer mon chemin en laissant faire le leur.

En arrivant au Mystic Grill, je m'installais naturellement à une table. Je commandais un whisky lorsqu'une serveuse au visage aimable m'approcha. Ensuite, je laissai mon regard errer ça et là ; je m'étais inquiétée pour rien, je ne reconnaissais personne. Un couple dansait un slow sur une musique du jukebox pas rapport pendant que leurs amis s'esclaffaient. Je ne pus m'empêcher de sourire avant de diriger mes yeux vers la table de billard. Un jeune homme retint mon attention. Je ne le connaissais pas évidemment mais sa manière de parler me semblait spéciale. Son maintient aussi, d'ailleurs. Cette manière de lever la tête si haut, ces traits qui faisaient penser aux bustes grandeur nature dans les musées. Cela devait être un étranger ou quelqu'un de particulièrement orgueilleux. J'étais si prise par mes pensées que je ne remarquai pas avant un moment qu'il me rendait regard pour regard.

Quand je pris enfin compte de mon impolitesse, je détournai les yeux comme si rien n'était. Mon oeil d'artiste remarquait beaucoup de choses ; j'avais l'habitude de fixer les gens longtemps au risque de leur déplaire. J'espérais que le jeune homme n'allait pas s'en sentir offusquer, au risque de gâcher ma soirée. J'avais envie de passer un moment tranquille.